Pose de la première pierre du Palais des Régates - 12 juillet 1906.

La cérémonie de la pose de la première pierre du palais que M. Dufayel a fait édifier à Sainte-Adresse pour la société des Régates, a pris hier après-midi l'importance et l'éclat d'une véritable solennité.

Toutes les notabilités présentes au banquet de l'entente cordiale - au premier rang desquelles M. le général Azibert, M. Maillart, maire du Havre ; Joannès Couvert, président de la Chambre de commerce ; Belleville, ingénieur en chef des ponts et chaussées à Rouen ; Ducrocq, ingénieur en chef des ponts et chaussées au Havre ; Ballif, président du Touring-club de France ; E. Daniel, architecte du palais des Régates, etc., - ont assisté à cette fête, à laquelle la musique des équipages de la flotte a prêté son concours.

À cette occasion, le palais en construction avait reçu une élégante décoration. Une tente dressée marquait la future entrée principale de la façade Nord du monument. Des massifs de feuillage l'encadraient. Les marins du yacht Pacifique formaient la haie sur le passage des invités, qui se sont rendus sur la terrasse, très artistement décorée de plantes vertes. Des tapis conduisaient à l'extrémité Ouest du monument.

C'est là, sur la face extérieure d'une des piles qui supporte l'immense terrasse en ciment armé, que la « première pierre » a été symboliquement posée.

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Auparavant, plusieurs allocutions ont été prononcées.


C'est tout d'abord M. le président de la société des Régates qui dit sa joie de voir la réalisation d'un rêve longtemps caressé. Les splendeurs projetées avaient il est vrai, même au sein de la société des Régates, effrayé quelque peu les timides, et laisse calmes les sceptiques. M. Maurice Taconet a convié les uns et les autres à constater simplement des faits acquis :


 « Aujourd'hui, nous voulons avoir le triomphe modeste et notre seule vengeance a été d'inviter les incroyants et le petit nombre d'hommes de foi à venir assister à la pose de la première pierre du palais (le nom ne sera plus prétentieux lorsque vous songerez à l'humilité du premier idéal), de ce palais des Régates que le bon génie épris de ce site admirable a voulu faire sortir de terre comme par enchantement.
Ah ! Que Casimir Delavigne, notre poète havrais qui a si bien su chanter son berceau chéri, n'est-il donc ici !
Celui qui a dit, en parlant du Havre : " Après Constantinople, il n'est rien d'aussi beau ! ", et que les grands voyageurs ont taxé d'un peu de présomption, tout en lui pardonnant de n'avoir peut-être pas fait le tour du monde, ce poète chanterait, en une meilleure langue que la mienne, le panorama qu'il mettait, par simplicité, après le Bosphore !
Les vers immortaliseraient cette plage, où, des terrasses enchanteresses, l'on découvre, sinon la plus belle rade du monde, du moins celle qui, par sa vie intense et perpétuelle, par la féerie de ses couleurs changeantes et de ses couchers de soleil que les peintres déclarent incomparables, n'a pas sa pareille en France.
Il serait peut-être un peu surpris, même au sein de tout ce progrès moderne, de se voir invité à célébrer la pose de la première pierre en constatant que beaucoup d'autres la dominent déjà, mais nous saurions vite lui expliquer que c’est ici comme en cette Thèbes du temps jadis, et qu’aux accords de M. Dufayel et de son architecte Daniel, les murs s'élèvent sans qu’une pierre puisse à proprement parler se vanter d'être la première.
Monsieur,
La société des Régates, dont je suis ici l'interprète, veut, au pied même de votre œuvre déjà si avancée, vous redire sa reconnaissance pour la bonne grâce avec laquelle vous l'avez mis à même de continuer une carrière déjà si bien remplie depuis soixante-dix ans, dans des conditions qui s'annoncent si brillantes est tellement au-dessus de son propre rêve.
Elle souhaite d’être le meilleur élément de succès de cette création, que vous avez baptisée du joli nom de « Nice Havrais », et qui gardera cependant, comme titre patronymique d’heureux augure, celui de Sainte-Adresse. »


 M. Maurice Jacomet salue ensuite M. le maire du Havre, Mme Maillart, qui a bien voulu accepter de sceller la première pierre ; M. l'amiral Gervais, dont la présence est un honneur pour la Société des Régates et qu'il invite à venir l'an prochain inaugurer une demeure où la Ligue sera toujours reçue à bras ouverts.


M. l'amiral Gervais remercie la Société des Régates de son accueil si cordial. Il est heureux de constater que son essor est désormais assuré et que l'avenir le plus bruyant l’attend en ce local justement qualifié le Palais. Il félicite à cette occasion le bienfaiteur de la Société qui vient de donner une preuve nouvelle, si généreuse et si éclatante, de tout l'intérêt et de toute l'activité féconde qu'il consacre aux choses du sport.


Au nom de la ville du Havre, M. Maillart remercie Sainte-Adresse de son exquise hospitalité et félicite M. Dufayel d'avoir installé, dans ses meubles, une vaillante Société havraise acquis depuis soixante-huit années logeait humblement à l'hôtel meublé ! Comme maire du Havre et plus particulièrement comme président de la Commission administrative du bureau de bienfaisance, M. Maillart tient à rappeler que les pauvres du Havre ont reçu bien souvent de M. Dufayel, des marques de générosité. Il lui renouvelle, au nom des malheureux, l'expression de sa gratitude.
S'adressant à son collègue de Sainte-Adresse, M. le maire du Havre dit que c’est sans jalousie que la grande cité a vu la Société des Régates aller « planter sa tente » chez sa voisine. Elle ne pouvait trouver endroit plus charmant et plus propice pour permettre l'exécution des beaux projets qu'elle a formés.


M. de Querhoënt vient à son tour exprimer ses sympathies à la Société des Régates et complimenter la « baguette de fée » qui, pour elle, a fait surgir du sol un monument aussi imposant.
M. le maire de Sainte Adresse s'exprime ensuite en ces termes :


« Les petites communes qui ceinturent Le Havre sont en quelque sorte ses enfants. Elles lui font honneur et c'est une loi naturelle qui veut que, dans le rayonnement de la grande cité, elles se développent et grandissent avec elle.
De son côté, c’est Graville, centre industriel, où l'activité des usines met sa vie intense, son mouvement grandissant. Près de nous, là-haut, c’est Sanvic, un Sanvic régénéré par un administrateur de premier ordre, et qui abrite toute une population d'employés et ouvriers. Ici, Sainte Adresse, nichée dans les verdoyants coteaux d'Ignauval, ou accroché aux flancs éventrés de la falaise, Sainte-Adresse que vous avez choisi, Messieurs, pour asile et qui vous se réserve l'accueil le plus sympathique, le plus cordial.
Depuis vingt années que j'ai l'honneur d'être à la tête de l'administration municipale, des efforts considérables ont été faits. Des transformations immenses ont été réalisées, des artères ont été ouvertes, des voies ont été élargies : le boulevard du Président-Félix-Faure est une de nos dernières créations importantes, les finances communales n'ont pas hésité à lui sacrifier 100 000 francs.
Mais si l'on a beaucoup fait, il reste encore beaucoup à faire et je voudrais vous entretenir d'un projet qui n'intéresse pas seulement Sainte-Adresse, mais aussi sa puissante et riche voisine, la ville du Havre. Il s'agit du prolongement ou plutôt de la bifurcation du boulevard Maritime, qui, à la hauteur du casino Marie-Christine, se détacherait du tracé actuel pour longer la plage et venir se raccorder avec l’avenue des Régates. Projet grandiose, en effet, projet coûteux aussi puisqu'il représente environ deux millions.
À cette dépense, la générosité de M. Dufayel veut bien participé pour une somme de 100 000 fr., plus l'abandon gratuit de ceux de ses terrains sur lequel la nouvelle voie serait établie.
Il est un autre élément de ressources. La plus-value du centime afférent au boulevard Maritime, pourrait, avec approbation du Conseil général, être affectée à la construction du nouveau boulevard. Pourquoi la ville du Havre ne viendrait-elle pas participer à cette œuvre d'intérêt général et faire, avec les moyens imposants dont elle dispose ce que Sainte-Adresse a fait dans sa petite sphère ? Un million reste à trouver. Permettez-moi de caresser l'espoir de la réalisation de ce rêve et même de croire que le temps n'est pas très lointain où les deux villes amies voudront coopérer à leur prospérité mutuelle, en associant leurs meilleurs efforts. »

 M. de Querhoënt termine en félicitant M. Dufayel de tout ce qu'il a fait, de tout ce qu'il va faire, pour le plus grand bien de Sainte-Adresse.

M. Dufayel clôt la série des allocations sur ces quelques paroles :

 « Je vous remercie, Mesdames, je vous remercie, Messieurs, d'avoir honoré de votre présence la modeste fête d'aujourd'hui.

Je vous sais gré, Messieurs les maires, des sentiments de haute courtoisie que vous avez bien voulu me témoigner.

Je poursuivrai les traditions auxquelles vous avez fait allusion, et je veux vous en donner dès maintenant un gage, en vous remettant, à vous M. le maire de Sainte-Adresse, une somme de 500 francs pour l'Asile des vieux marins Brévillier ; 500 francs pour le bureau de bienfaisance. À vous, Monsieur le maire du Havre, une somme de 1000 francs pour les pauvres.

Et maintenant, Mesdames et Messieurs, acceptez, je vous prie, dès aujourd'hui, l'invitation que je vous fais d'assister l'an prochain à la fête d'inauguration du pavillon des Régates. »


 Des bravos répétés ont souligné ces paroles. La pose de la première pierre a eu lieu ensuite.
Un procès-verbal signé des principaux assistants, a été placé dans un coffret avec une médaille commémorative en argent de la société des Régates et une collection de pièces de monnaies neuves : pièces de 10, 25, 50 centimes, 1 fr., 2 fr. et 10 fr. Puis un ange en acajou, orné d'une superbe gerbe de fleurs, a été présenté à Mme Maillart par une gracieuse jeune fille, Mlle Hérouard, et le scellement symbolique a été fait, Mme Maillart employant à cet effet une jolie truelle en argent, avec inscription commémorative, ravissant outil-bijou qui lui a été offert en souvenir.


M. Dufayel a prié ensuite ses invités de prendre part à un lunch qui leur a été servi sur la terrasse.
Ajoutons que les ouvriers ayant coopéré à la construction ont été associés au plaisir de la fête. Une collation leur a été donnée : les ouvriers de l'entreprise Henry Jean, qui ont notamment exécuté les travaux importants et prestement menés des nouvelles grandes voies du « Nice Havrais », ont, à leur tour, offert à M. Dufayel une magnifique corbeille de fleurs.